Les digues fluviales du Grand delta : des interfaces patrimoniales dans la plaine d’inondation ?
Fin
mai 1856, la France est sous les eaux. De grands cours d’eau ont quitté
leur lit et envahi les terres, les villes et les habitations. Dans la
vallée du Rhône, la situation est dramatique. Alerté dès le 1er juin par
le télégraphe électrique, Napoléon III se rend auprès des inondés grâce
au chemin de fer. Ce périple, qui le conduit jusqu’à Arles, réaffirme
le charisme impérial et le rôle de l’État auprès des gens du peuple.
Au-delà
de la portée médiatique et politique de ce voyage compassionnel, la
visite est immédiatement suivie d’engagements financiers de l’État pour
secourir les victimes et réparer des dommages considérables. Le 18
juillet 1856, Sa Majesté adresse une lettre aux préfets. Véritable note
technique, elle instaure une politique coordonnée pour l’endiguement des
fleuves et la conception d’ouvrages préventifs localisés en amont des
grands centres urbains. En quelques décennies, sous le contrôle des
ingénieurs des Ponts et Chaussées, les paysages fluviaux sont
radicalement transformés par l’édification d’un continuum de digues de
protection contre les crues et la chenalisation par des enrochements
pour améliorer la navigation.
Ce corsetage du fleuve aura des
impacts environnementaux majeurs avant même la réalisation des premiers
aménagements hydroélectriques du vingtième siècle. La Nature est
maîtrisée au profit de l’essor industriel et de la modernisation du
pays. Un sentiment de sécurité, bien qu’illusoire, s’installe au cours
du temps.
La Tarasque, dissimulée derrière les digues, semble oubliée.
En octobre 1993 et janvier 1994, puis violemment en décembre 2003,
le fleuve en crue franchit les ouvrages de protection vieillissants,
supposés insubmersibles.
L’île de Camargue et les communes riveraines du grand delta sont inondées.
Ce
sévère rappel à l’ordre réitère l’engagement de l’état et des régions
pour la mise en place d’une politique solidaire de prévention des crues
sur le bassin versant du Rhône.
Cette mobilisation a abouti à la
signature d’un Contrat de Plan Interrégional Etat Régions « Plan Rhône
» dont le volet « Inondations » permet de financer les dispositifs de
protection des biens et des personnes contre les risques d’inondation,
tels que les digues gérées par le SYMADREM.
Ce travail photographique interroge la perception visuelle des paysages
rhodaniens modifiés par la présence d’ouvrages de protection contre les
crues, et plus spécifiquement la construction récente de digues
renforcées et rehaussées suite à l’épisode traumatique de décembre 2003.
En quoi une construction humaine édifiée sur les marges du fleuve, étroite bande au regard des dimensions de l’hydrosystème fluvial, façonne la dualité des paysages ordinaires du Rhône méridional ? Faut-il considérer la digue comme une simple barrière visuelle, ou comme une frontière entre deux mondes parallèles ? Crée-t-elle une discontinuité écologique ou une rupture irréversible au sein de la plaine alluviale ? Doit-on l’appréhender comme un rempart ou comme un nouvel itinéraire de promenade offrant une double perspective surélevée de la plaine ?
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Le
SYMADREM a pour mission, la gestion des milieux aquatiques et la
prévention des inondations sur le territoire du grand delta du Rhône. Il
intervient sur 220 km de digues fluviales et 30 km d’ouvrages
maritimes.